Se réinventer après la séparation Le marché du conseil, un casse-tête
La séparation va entraîner la naissance d’une nouvelle offre de conseil pour les agriculteurs. Reste à savoir par qui elle sera portée, et dans quelle mesure les agriculteurs y auront recours.
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La nouvelle réglementation aura pour les agriculteurs deux conséquences. D’une part, sauf s’ils sont bio sur la totalité de leur ferme ou certifiés HVE, ils devront avoir recours à un conseil stratégique, à raison de deux en cinq ans, pour pouvoir renouveler leur Certiphyto. D’autre part, au vu des choix faits par l’écrasante majorité des coops et négoces, ils vont devoir se passer de leur préconisation phytos habituelle. Prendront-ils en remplacement un conseil auprès d’un autre organisme ? Notre sondage ADquation-Agrodistribution (ci-contre) tendrait à le montrer, avec 64 % des chefs d’exploitation prêts à recourir à un autre distributeur agréé conseil, une chambre d’agriculture ou un conseiller indépendant. « On voit bien que les agriculteurs confirment leur besoin d’un conseil spécifique », juge Christian Durlin, vice-président de la commission Environnement de la FNSEA. Sur le terrain, de nombreux acteurs estiment que les producteurs n’auront pas, au moins en 2021, recours à une préconisation phytos auprès d’un conseiller. « À mon sens, une grande partie des adhérents Cérèsia fera sans, juge Antoine Hacard, président de la coopérative. Après, on est dans une forme d’inconnue, on va découvrir en marchant. » « Je n’ai pas le sentiment que les agriculteurs iront chercher un autre conseil concernant les préconisations phytos en 2021, estime Denis Pelé, à la tête du négoce éponyme. Les clients sont encore en phase de découverte. En 2021, la situation ne va pas beaucoup évoluer. »
Coûts vs responsabilité juridique
« J’aurais pensé que plus de 13 % des interrogés auraient répondu qu’ils allaient se débrouiller seuls, observe Philippe Noyau, président de la chambre d’agriculture Centre-Val de Loire et secrétaire adjoint de l’APCA. Peut-être que les agriculteurs n’ont pas encore réalisé. Je ne sais pas si tout le monde est bien informé. Mais cela va évoluer, on sent que la presse agricole s’empare du sujet. » Le principal frein pour le conseil, c’est le coût. « Auparavant, il était intégré dans le prix des produits phytos, rappelle Christian Durlin. Il faudrait que leurs prix baissent, mais en pratique ceux qui sont retirés du marché sont les moins chers et la RPD (redevance pour pollution diffuse) augmente régulièrement. Pour l’agriculteur, il faut ajouter l’adhésion à des OAD, etc. En additionnant les services, cela fait des coûts en hausse. » Sur le terrain, la majorité des distributeurs sont d’accord : il est difficile de faire payer un conseil phytos, peu devraient donc y avoir recours, au moins en 2021. « C’est un point que l’on avait soulevé : sans conseil, les agriculteurs ne risquent-ils pas de faire une intervention de sécurité ? », alerte Christian Durlin. Un phénomène contre-productif au vu des objectifs de la réforme… Cette frilosité pour du conseil spécifique pourrait être contrebalancée par une autre conséquence de la séparation : le transfert d’une partie du risque juridique au producteur, s’il n’a plus de préconisation écrite et tracée. « C’est possible que cela joue dans le fait d’aller chercher un conseil spécifique pour des interventions délicates, comme des désherbages », fait part Christian Durlin. « Sur des cultures à forte valeur ajoutée, pourquoi pas », réagit Michel Brard, directeur de la distribution professionnelle et des métiers du grain chez Eureden. Un avis non partagé par Édouard Lorenzo, directeur commercial des Ets Péris : « À mon sens, ce n’est pas une raison suffisante pour aller chercher un conseil spécifique. Ils vont déjà devoir payer le stratégique, c’est une charge supplémentaire, et certains producteurs sont en difficulté. »
500 à 1 000 € pour le stratégique
Autre question soulevée : qui va assurer les conseils spécifique et stratégique ? Les chambres d’agriculture se sont clairement positionnées sur le second. « Nous avons formé 150 conseillers en 2020 et 75 chefs de service, et d’autres seront formés en 2021 », indique Philippe Noyau. Deux offres de conseil stratégique seront proposées. Le premier correspondra aux attentes réglementaires, et le second ira plus loin, « avec un investissement plus poussé », commente le secrétaire adjoint de l’APCA. Le coût n’est pas encore fixé car le temps nécessaire est variable selon l’exploitation : polyculture ou monoculture, par exemple en cultures pérennes, accessibilité de la traçabilité des traitements antérieurs… Une fourchette entre 500 et 1 000 € par intervention est avancée. « Ce conseil va être payant, il faut qu’il apporte quelque chose à l’agriculteur, juge Philippe Noyau. Ce ne sera pas juste un tampon réglementaire. Après, on réfléchit par exemple à ce qu’une partie de ce conseil soit collectif, pour baisser les coûts. » Quant au conseil spécifique, « pour l’instant on s’y prépare, mais on n’a pas plus de demandes que cela », répond le secrétaire adjoint de l’APCA. Côté conseillers indépendants, « pour nous, la séparation ne va pas changer grand-chose puisque notre code de déontologie est encore plus rigoureux et exigeant que le référentiel conseil indépendance élargie. Nous ferons le conseil stratégique chez nos clients, explique Hervé Tertrais, président du PCIA, Pôle du conseil indépendant en agriculture. On ne prospectera pas pour faire ailleurs ce conseil obligatoire. » Actuellement, le PCIA est contacté par des professionnels réfléchissant à se lancer en conseil indépendant. Mais il est difficile d’estimer combien sauteront le pas. Pour le moment, c’est vraiment le marché du conseil stratégique, car obligatoire, qui suscite les convoitises. Outre les chambres d’agriculture, l’éditeur de logiciels Smag indique travailler avec les CER au développement d’une offre sur le sujet. Quant au conseil spécifique, de nouvelles formes pourraient voir le jour. « Je ne serais pas surpris que se développent des offres autres que celle du conseiller qui passe sur l’exploitation, par exemple numériques et moins onéreuses », observe Christian Durlin. Chez Smag, pas de doute que le digital est amené à prendre de l’ampleur dans les fermes. « Les agriculteurs se retrouvent seuls, c’est important qu’ils soient bien encadrés, explique Didier Robert, DG de Smag. D’où l’intérêt de renforcer l’usage du digital », via notamment les logiciels agriculteur, avec des indications réglementaires sur les traitements. Le rôle d’un autre acteur pose encore question : que vont faire les firmes phytosanitaires ? Si les experts du secteur sont sceptiques quant à un développement de la vente en direct, leur communication vers les agriculteurs pourrait évoluer. « On constate que via les OAD qu’elles développent, elles s’adressent de plus en plus à eux, analyse Jean-Nicolas Simon, consultant associé au cabinet Audanis. Elles ciblent certaines typologies et s’inscrivent comme influenceurs directs pour s’assurer de la connaissance de leurs offres et solutions auprès des agriculteurs, sans le filtre des prescripteurs et des distributeurs pour ceux qui feraient appel à eux. »
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